La CSRD fait de la résistance



La CSRD fait de la résistance

par Ute MEYENBERG, secrétaire nationale CFDT Cadres

Après les remous provoqués par les propos de Stéphane Séjourné - vice-président de la Commission européenne en charge de la compétitivité - qui a annoncé, dans un entretien du lundi 20 janvier, vouloir supprimer certaines obligations de reporting, les réseaux sociaux se sont mobilisées pour défendre la CSRD. 

Attaquée de toutes parts et notamment dernièrement par le Chancelier allemand, Olaf Scholz, la CSRD trouve pourtant beaucoup de défenseurs en France. Toute notre industrie n’est pas contre cette obligation de transparence, bien au contraire ! Les directeurs de grands groupes français, impliqués fortement dans un reporting 2025 en format CSRD, sont montés au créneau il y a quelques jours dans les Echos pour la défendre. De même, 165 ONG, dont font partie la Confédération européenne des syndicats et UNI Europa, ont dénoncé le 14 janvier dernier, des attaques contre elle. Ces ONG, mais aussi les entreprises faisant partie d’Impact Invest et du CJD, fort de 5700 entreprises, craignent notamment que la directive OMNIBUS, visant à simplifier les réglementations en lien avec la CSRD, annoncée dès novembre 2024 par la Présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen, affaiblisse durablement la transparence indispensable pour assurer une transition juste.

Les critiques actuelles sont d’autant plus étonnantes que la CSRD a été adoptée fin 2023 par le Parlement européen et le Conseil à une large majorité, de même que les dispositifs détaillés, les ESRS. Ces derniers sont réellement des instruments permettant l’harmonisation des données de durabilité et ils ont reçu un large soutien lors de leur adoption.

Les remous politiques contribuent à l’affaiblissement des normes de durabilité…

Les récents changements au niveau du Parlement européen et les remous politiques dans les différents Etats membres ont contribué pour une large part aux difficultés actuelles de la CSRD. Les craintes pour la compétitivité européenne aussi. C’est pourquoi le rapport Draghi a appelé à une harmonisation des différentes législations de durabilité en septembre 2023, et aussi pourquoi Ursula van der Leyen a finalement promis une directive OMNIBUS proposant une simplification concernant essentiellement trois directives clés : la CSRD, le devoir de vigilance (CSDDD) et le règlement Taxonomie. Ces pièces législatives sont censées fonctionner ensemble et en cohérence. Or, étant entrées en vigueur successivement, leur harmonisation n’a pas été réalisée dès le début. Pour cette raison, une harmonisation technique serait souhaitable.

Or, il n’en est pas ainsi car les opposants prennent cette occasion pour préconiser un affaiblissement général des dispositifs. Par exemple, les propositions allemandes prônent de décaler l’application pour les entreprises nouvellement soumises de deux ans et d’arrêter totalement les normes sectorielles. Ceci aurait pour effet une quasi inapplicabilité de la CSRD jusqu’à 2027 alors que certaines entreprises (celles soumises à la DPEF) ont déjà commencé à produire ces données. Cependant, la proposition allemande ne prend pas en compte des directives annexes (SFDR et taxonomie).

La France, premier pays à avoir transposé la directive dès décembre 2023, a toujours soutenu la CSRD. C’est pourquoi l’Autorité des normes comptables a partagé ses réflexions le 11 janvier, lesquelles ont trouvé un large écho sur les réseaux sociaux. Face à l’opposition très forte de certains pays et du fait que 17 pays n’ont pas transposé la directive à ce jour, elle propose des aménagements permettant un compromis tout en suggérant certains qui simplifieront l’application des normes pour les entreprises de taille intermédiaire. Ainsi l’Autorité française recommande l’application de conditions transitoires pour des entreprises qui ont déjà commencé à appliquer la CSRD afin de ne pas les pénaliser :

  • Plutôt qu'un relèvement de seuil pur et simple, elle propose de garder le standard actuel des ESRS ("European sustainability reporting standards", visant à encadrer le reporting extra-financier de la CSRD) pour : les grandes entreprises qui correspondent actuellement à celles soumises à la DPEF, déclaration de performance extra-financière (plus de 5000 salariés) et les entreprises listées ayant plus de 1000 employés et un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d'euros et les institutions financières1. Ceci revient à aligner les seuils sur le devoir de vigilance européen (CS3D - soit 1000 salariés et un chiffre d’affaires de 450 millions d'euros). Ce standard devra aussi être appliqué progressivement à toutes les entreprises listées de plus de 500 salariés.
  • Appliquer le standard intermédiaire aux PME listées (LSME), aux entreprises entre 250 et 500 employées et un chiffre d'affaire de plus de 50 millions d'euros non listées en bourse ainsi que pour les PME listées (comme prévu initialement).
  • Pour les PME non-listées (entre 10 et 250 employés) la norme VSME sera utilisée.

Notons également que l’ANC est opposée à l’abolition des normes sectorielles qui sont nécessaires pour comprendre la transition écologique dans les secteurs (l’industrie d’habillement n’est pas comparable avec le BTP ou l’extraction minière).

Et pour les consultations des CSE ?

La proposition a comme avantage de garder la CSRD dans sa version globale pour les très grandes entreprises et une version plus réduite pour les entreprises de taille moyenne (ETI), facilitant ainsi également son utilisation. Pour les trois consultations des CSE prévus par la directive, on peut penser que les cabinets d’expertise développeront des grilles d’analyse ESG simplifiées : en effet, il est difficile d’exploiter trop de données pour les discussions en CSE. Actuellement, le dialogue social sur la transition écologique n’est pas très développé. La CSRD oblige les entreprises explicitement à consulter leurs CSE et de récolter leur avis. Il est donc primordial de former les représentants du personnel à ces nouvelles prérogatives afin de profiter pleinement de leurs connaissances de l’entreprise.


1 Il s’agit d’entreprises d’intérêt public, définis dans la directive Audit et la directive Compabilité

+ d'infos

Could CSRD bring sustainability into the Board Room (cddd.fr)

Reporting extra-financier : les grands groupes français prennent la défense de la directive CSRD (lesechos.fr)

Non à l’Omnibus ! Plus de 160 organisations s’opposent à une remise en question de la directive sur le devoir de vigilance (asso-sherpa.org)

UNI calls for protection of vital European legislation on human rights & the environment (uni-europa.org)

Illustration : etui.org
Lire la suite